Il ne fait aucun doute aujourd’hui que la France est un des nombreux pays où le rap connait une place centrale. Parmi ces derniers, on compte évidement les États-Unis, mais également la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou l’Espagne. Pourtant, la France semble occuper une place particulière et prêter une attention très marquée à ce genre musical. Pourquoi en est-il ainsi ? Entre critiques d’un contenu incroyablement riche et plébiscite évident des chiffres de vente, qu’en est-il exactement du rap en France ? Dans cet article, nous allons revenir sur l’histoire du rap français pour tenter de comprendre la place particulière qu’il occupe dans l’Hexagone.
Il est également important pour nous de mentionner que certaines personnalités évoquées ici peuvent avoir fait l’objet de polémiques. Il ne s’agit pas pour nous d’en faire la promotion, mais de présenter un phénomène culturel dans ses grandes lignes. Trêve d’explications et bonne lecture !
Les origines outre-Atlantique
Voir le rap uniquement comme un courant musical parmi tant d’autre rend aveugle à sa véritable origine. En effet, le rap vient d’un mouvement d’émancipation culturelle plus large qui touche également la production de contenus visuels, la danse et l’appropriation d’espaces urbains. Qui aujourd’hui peut prétendre n’avoir jamais entendu parler du Hip Hop ?
Ce mouvement nait au États-Unis dans les années 1970 dans les ghetto noir de New York – au moins en partie – en réaction à la musique disco, considérée comme vidée de toute substance politique. Les habitants de quartiers pauvres et ravagés par le chômage, comme le Bronx, produisent alors leur propre culture dans ce que l’on appelle des « block parties ». Cette culture s’exprimera alors à travers cinq grandes disciplines : le rap, la musique Dj, le break dance, le graffiti et le beatbox. C’est dans ce vivier culturel que des légendes du mouvement Hip Hop comme DJ Kool Herc, Afrika Bambaataa ou Sugarhill Gang vont poser les bases d’une musique toujours incroyablement vivante.
Si l’histoire du Hip Hop états-unien – et plus particulièrement celle du rap –vous intéresse, nous vous renvoyons à l’un de nos articles sur le sujet et vous souhaitons une bonne lecture.
Les débuts en France 1980-1990
Vous nous direz peut-être : « tout ça c’est bien beau, mais comment une culture issue des ghettos new-yorkais a bien pu enjamber l’Atlantique et s’imposer à ce point en France ? » Concernant le cas spécifique de la France, on peut répondre à cette question en observant que la culture Hip Hop, et particulièrement le rap, s’est exportée en France principalement par deux voies : la voie médiatique officielle, et la voie des passionnés faisant de la rue la scène de leur propre culture.
Le phénomène médiatique
En réalité il est difficile et un peu injuste de séparer une voie qui serait médiatique et commerciale d’un côté, d’une autre voie qui serait exclusivement celle des passionnées de l’autre. Pour cause, le rap devient très vite une affaire de passion et un moyen de gagner de l’argent à la fois.
On retrouve par exemple de cette passion dès le début des années 1980 dans les génériques rappés de Phil Barney sur la radio Carbon 14. On la retrouve également chez certains pionniers comme Bernard Zekri qui, découvrant la culture Hip Hop aux États-Unis, participe à l’organisation du New York City Rap Tour en France en 1980, faisant ainsi découvrir à la France le Hip Hop en live.
De grands médias comme TF1 ou M6 voient très vite une opportunité à saisir dans ce nouveau courant culturel qui semble être plébiscité par un public jeune. TF1 se dirige donc vers le jeune Sidney, animateur de l’émission Rapper, Dapper, Snapper sur la radio libre Radio 7, pour lui demander d’animer une émission hebdomadaire devenue culte, H.I.P H.O.P. Sidney devient alors en 1984 le premier animateur noir de France et H.I.P H.O.P la première émission de TV au monde entièrement consacrée au Hip Hop. Celle-ci reçoit des personnalités comme Afrika Bambaataa, Sugarhill Gang ou encore Madona et connait un très grand succès. Si vous souhaitez vous faire une idée, voilà à quoi ressemblait l’émission :
TF1, voyant dans le mouvement Hip Hop une mode passagère, décide de mettre fin à l’émission la même année. On ne peut pas vraiment dire que cela ait été le meilleur choix de programmation de la chaine. Et pour cause, les années qui suivent voient se multiplier les prochaines émissions et stations phare du Hip Hop français. Une petite vue d’ensemble vous donnera une idée de l’ampleur de la chose :
- 1985 : fondation de la radio Skyrock qui contribue à faire du rap une musique grand publique, notamment avec Planète Rap (1996).
- 1987 : Sophie Bramly lance Yo sur MTV Europe où elle reçoit des artistes et groupes comme RUN-DMC, NWA, LL Cool J ou Ice-T.
- 1990 : Olivier Cachin anime RapLine sur M6. Cette émission produit un grand nombre de clips de rap français et a également le mérite de mettre en avant des artistes non parisiens comme I AM.
Si nous nous arrêtons là, vous nous direz certainement que pour un mouvement d’émancipation culturelle, tout cela sonne bien officiel et récupéré. Et pourtant, si ce n’est peut-être pas complètement faux, la réalité est un peu plus complexe que cela.
Le rap et la rue
Ce qui va séduire beaucoup de monde dans la culture Hip Hop, c’est son côté populaire, improvisé, créatif, dynamique et impulsif (oui cela fait beaucoup d’adjectifs). Il ne faut pas oublier que le terreau du Hip Hop ce sont les « block parties » aux Etats-Unis. Alors si vous souhaitez savoir à quoi cela ressemblait en France, rendez-vous à Paris, sur le terrain vague de la Chapelle, en 1984. Vous y trouverez tout ce qui faisait la culture Hip Hop à l’époque : des break dancers, du beatbox, des graffeurs et graffeuses, du rap et des Dj pour dynamiser tout cela.
Les fêtes sur le terrain vague de la Chapelle sont un parfait exemple de la porosité qui existe entre le rap comme opportunité médiatique et le rap comme mouvement populaire. Ces fêtes sont des rassemblements de curieux et de passionnées. On y trouve donc de futurs grands noms du monde du rap, comme ceux des membres des groupes Assassin ou NTM, ou encore Destroy Man et Jhonygo, deux anciens chasseurs de skins, soutenus dans leur début de carrière musicale par les Rita Mitsouko. On y trouve également des légendes comme DJ Dee Nasty qui sort le premier disque de rap français, Paname city rappin (1984), qu’il distribue lui-même avec ghettoblaster sur l’épaule, flyers faits à la main et numéro de téléphone privé au dos des vinyle. L’artisan était précurseur.
Le premier disque de rap Français ça ressemblait à ça :
Vous l’aurez compris, en Hip Hop la rue et les médias se nourrissent mutuellement. D’ailleurs DJ Dee Nasty en est un exemple emblématique, puisqu’il deviendra animateur radio en 1988, aux côtés de Lionel D, sur Radio Nova. Cette radio invitera alors de nombreux artistes et groupe que l’on trouvait sur le terrain vague de la Chapelle et qui deviendront les piliers du rap français. C’est par exemple le cas des groupes Assassins, NTM ou de l’artiste MC Solar.
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La décennie du Rap 1990-2000
C’est toujours un peu cliché de parler d’âge d’or de quelque chose, mais il faut au moins dire que cette décennie est fondamentale pour le rap français. Elle commence d’ailleurs très fort avec la première compilation de l’histoire du rap français, Rapattitude, vendue en 1990 à plus de 100 000 exemplaires et qui sera suivit deux ans plus tard de Rapattitude 2 . On y retrouve Assassin, NTM, Dee Nasty, Saliha ou encore B. Love.
Un tel succès ne passe pas inaperçu aux yeux des labels et des maisons de disques et Polydor se dirige vers le rappeur Mc Solar du groupe Posse 501. Il s’en suivra un single, Bouge de là en 1990, puis un album un an plus tard, Qui sème le vent récolte le tempo, qui feront de Mc Solar une figure emblématique du rap et du rap lui-même une musique incontournable.
Comment parler de cette époque sans revenir plus en détail sur le groupe NTM, composé de Joey Star et Kool Shen. Ces deux amis de jeunesse découvrent le rap en passant par le breakdance et le graffiti et par l’émulation d’un ami du groupe Assassin, Rockin’ Squat. Le groupe NTM sortira de nombreux album dont Authentik en 1991 ou Paris sous les bombes en 1995 et marquera les mémoires par ses concerts spectaculaires, dont celui du Boogie Man en 1992 au Zenith de Paris.
Jusqu’à présent on pourrait avoir l’impression que le rap français serait finalement un phénomène purement parisien. Or, si c’était le cas, on ne parlerait pas de rap français, mais de rap parisien. En effet, de nombreux groupes, et pas des moindres, ne viennent pas de la capitale. L’un des plus constants, productifs et des plus emblématiques de la scène rap française est certainement le groupe I AM. Le groupe marseillais se forme en 1989 d’Akhenaton, de Shurik’n, de Kheops, d’Imhotep, de Kephren, et de Freeman, qui partira en 2008, et publie son premier album, Concept, en 1990. Ils se feront surtout connaitre par un public plus large en 1994 avec l’album Ombre et lumière et la chanson Je danse le Mia. Ce groupe est également connu pour avoir posé une brique essentielle dans l’édifice du rap français avec L’école du micro d’argent en 1997, un album contenant des chansons incontournables comme Petit frère, Nés sous la même étoile et surtout Demain c’est loin (presque neuf minutes sans refrain…)
Nous avons cité beaucoup de noms d’artistes, de chansons, d’albums et de dates, mais de quoi parlent exactement les rappeurs et rappeuses de cette époque ?
Redécouvrez le Hip Hop avec le son Teufel :
Thèmes et tendances du rap
Sur la base du contenu et de la forme de ce que les rappeurs et rappeuses chantent et transmettent, on distingue plusieurs styles de rap :
- Le rap poétique : évite les vulgarités, donne beaucoup d’importance à la forme, aux métaphores et à un flow plutôt lent et posé.
- Rap festif : s’inscrit dans la tradition des « block parties » avec des textes légers et une musique rythmée visant à faire danser ou à mettre de bonne humeur.
- Rap hardcore : exprime la colère ou l’indignation en laissant de la place aux émotions pouvant être exprimées de façon vulgaire. Le flow y a une grande importance et les thématiques peuvent être très diverses.
- Rap conscient : comporte une grande dimension politique et critique, il vise souvent à dénoncer des injustices à travers des textes très travaillés
- L’égotrip : mise en avant de la personnalité du rappeur ou de la rappeuse de façon souvent très hyperbolique. L’égotrip peut être considéré comme un exercice de style.
- Gangsta rap : tourne autour de la mise en scène de la violence et de l’opulence acquise par l’illégalité. La forme y a beaucoup d’importance et ajoute au charactère provocateur de l’ensemble.
Catégoriser c’est réduire et à réduire, on est toujours un peu injuste. Est-ce à dire que le rap conscient n’est pas poétique ou que le gangsta rap n’est pas hardcore, etc. ? Vous l’aurez compris, la catégorisation est abstraite, a posteriori et sert uniquement à titre d’orientation. Parlez avec des passionnés ou passionnées et toutes et tous vous proposerons des catégories et des structures différentes. L’essentiel est de bien avoir à l’esprit qu’aucune case n’est assez large pour un rappeur ou une rappeuse.
Conclusion
- Le rap est une discipline de la culture Hip Hop née à New-York dans les années 1970.
- Le Hip Hop, et donc le rap, arrive en France dans les années 1980 par les médias et par la rue à la fois.
- Il s’impose et se diversifie dans les années 1990 avec de grands groupes comme NTM, I AM ou Assassin, mais également des chanteurs solos comme Mc Solar.
- Ne faites pas l’erreur d’enfermer le rap ou les artistes dans une case, vous pourriez vous faire clasher.